Selon Einstein, l’homme n’utilise que 10% de son cerveau, info ou intox?

Si Einstein avait vraiment pondu toutes les citations qu’on lui prête, il aurait dû méchamment déformer l’espace-temps pour qu’il lui reste le temps d’élaborer une ou deux théories de son vivant. Spécialement en n’utilisant que 10% de son cerveau…

Einstein

Voici une magnifique double intox. Non seulement, ce n’est pas vrai du tout, mais en plus, aucune source fiable ne remonte jamais jusqu’à Einstein. Bon, ceci dit, je me demande par moments si ça ne s’applique pas un peu à mon cas quand même… En lançant ce quiz, j’avais complètement oublié que Marco avait déjà traité le sujet dans Podcast Science. Il nous expliquait en quelques mots en quoi cette légende urbaine ne tenait pas la route sur un plan évolutif, ses origines probables et à qui elle profite. Du grand Marco, quoi. Il nous expliquait aussi le grand classique de l’attribution de la citation à une figure d’autorité pour donner plus de poids à la légende.

Alors histoire de dire quelque chose quand même, tâchons d’approfondir un peu les sources probables de ce mythe et voyons ce que les neurosciences en disent aujourd’hui.

La légende suppose en fait que nous aurions un potentiel 10x supérieur à notre intelligence actuelle. En exploitant ce potentiel, nous pourrions devenir des dieux, voire des timelords. Pourquoi pas. J’avoue que si je pouvais déjà me rappeler où j’ai mis mes clés, je serais assez content…

À en croire mon notre bon ami Wiki, cela a probablement démarré avec la théorie de la “réserve d’énergie” des psychologues de Harvard, William James et Boris Sidis dans les années 1890. Pour vérifier leur théorie, ils ont élevé un enfant prodige, William Sidis, réputé avoir un QI de 250-300. C’est vrai qu’il avait l’air pas trop con, le William: il est entré à Harvard à 11 ans, parlait 40 langues et s’est improvisé toutologue comme on les aime, publiant de nombreuses recherches en cosmologie, en histoire des populations américaines, en mécanique… Il a même déposé un brevet pour un calendrier perpétuel prenant en compte les années bissextiles. Et il avait ses petites obsessions, le garçon… Il était fasciné par les tramways… Bref. Personnage plutôt marrant. Mais bon, il se trouve qu’en fait, une bonne partie de sa réputation relevait également du mythe.

Cela n’a pas empêché l’auteur américain Lowell Thomas de résumer cette théorie de la réserve d’énergie dans sa préface au livre de Dale Carnegie, qui allait devenir un best-seller planétaire:  How to Win Friends and Influence People. Pour rendre la théorie un peu plus sexy, il a indiqué un pourcentage faussement précis:  “Professor William James of Harvard used to say that the average man develops only ten per cent of his latent mental ability. Dale Carnegie, by helping business men and women to develop their latent possibilities, has created one of the most significant movements in adult education”.
Traduction ““Le Professeur William James, de Harvard, disait toujours que l’homme moyen ne développe que 10% de ses capacités mentales latentes. Dale Carnegie, en aidant les entrepreneurs et entrepreneuses à développeur leur potentiel, à créé l’un des mouvements les plus importants dans la formation des adultes. “

Il n’en fallait pas plus pour que le mythe se répande chez les gourous et autres coaches, tous prêts à vous faire débourser bonbon pour réveiller vos 90% dormants.

Après, les balbutiements des neurosciences et les interprétations en l’emporte-pièce de sujets encore mal maîtrisés ont aussi contribué à entretenir le mythe…  Marco en avait parlé, il n’y a pas que des neurones dans le cerveau, mais surtout des cellules gliales, qui comptent pour 50% du volume cérébral et 90% des cellules du cerveau. On pensait jusqu’à peu qu’elles n’étaient pas impliquées dans le traitement de l’information. Du coup, on pouvait penser que seules 10% des cellules du cerveau étaient impliquées dans l’intelligence. On sait aujourd’hui que c’est faux. Les cellules gliales jouent un rôle essentiel dans la neurotransmission et affectent tous les processus mentaux.

Les travaux de Karl Lashley ont également pu avoir une influence sur le mythe. Ce psychologue américain cherchait, dans les années 1920 et 1930, à localiser le siège de la mémoire dans le cortex des rats. Il leur faisait apprendre à se balader dans un labyrinthe puis retirait des portions plus ou moins importantes de leurs cerveaux. La quantité de tissus retirée semblait avoir un effet sur les performances des rats, par contre, la localisation de la portion retirée semblait n’avoir aucune incidence. On sait aujourd’hui que son protocole n’était pas fiable et tous ses résultats ont été remis en question…

Mais alors, on en utilise 10% à la fois? Pas du tout!

On sait aujourd’hui qu’il existe de nombreuses aires plus ou moins spécialisées dans le cerveau. Et cela semble donc tout à fait logique qu’elles ne s’activent pas toutes à fond en même temps. Le mythe viendrait-il du fait que seules 10% de nos cellules cérébrales sont actives à un instant t, les autres s’activant plus tôt ou plus tard? En toute honnêteté, c’est ce que je croyais avant de préparer ce billet. Mais ce n’est pas exactement comme cela que ça marche…

Pour le Dr Barry Gordon, neurologue, nous utilisons pratiquement toutes les parties du cerveau, et cela, la plupart du temps. Dans une interview pour le Scientific American, il précise “Le cerveau compte pour 3% du poids du corps… Et il consomme 20% de son énergie!”

Dans un épisode d’octobre 2010, les Mythbusters ont voulu en avoir le coeur net. Ils ont passé en revue le cerveau d’un de leur membres (Tori) avec plusieurs techniques. La magnétoencéphalographie  indiquait une activité moyenne de 35% du cerveau, quelles que soient les activités.  L’IRM fonctionnelle indiquait 15% d’activité cérébrale au repos, et 30% lorsqu’il racontait une histoire avec l’intention d’activer autant d’aires cérébrales que possible. Forts des ces résultats, ils ont fièrement déclaré le mythe “busted”.

Alors tant pis pour les rêves de super intelligence, de super-pouvoirs, ou plus prosaïquement de retrouver ses clés… Un organe qui consommerait 200% de notre énergie de nous emmènerait pas bien loin… Si on veut vraiment faire preuve d’intelligence, le plus sage consiste sans doute à accepter la réalité telle qu’elle est et de bosser encore et encore pour arriver là où on souhaite, sans dépenser des fortunes à chercher la technique miracle qui nous permettrait de nous dépasser. Arrêter de se comporter en mouton (cerveau: 140 grammes, à comparer aux 1400 grammes d’un cerveau moyen humain 😉 ). Cesser de croire aux solutions miracles est peut-être aussi un bon moyen de réveiller son potentiel!

 

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