Episode présenté par Caroline Graap, psychologue clinicienne, dans l’épisode #110.
Tout d’abord, pourquoi ce thème ? L’approche centrée sur la personne (ACP) s’est développée à partir des années 40 aux Etats-Unis et est devenue l’un des principaux courants de la psychologie clinique aux USA, alors qu’en Europe francophone, elle ne figure pas parmi les courants les plus représentés chez les cliniciens et restent relativement méconnue du grand public. Elle est à la base de ce qui constitue le courant humaniste, et bien des obédiences lui accordent volontiers une place dans leur genèse.
Rogers est un fondateur majeur de la recherche scientifique en psychothérapie : il est le premier à s’être intéressé de façon systématique à l’étude des facteurs explicatifs de l’efficacité de la psychothérapie. Paradoxalement, il est actuellement chez nous l’un des moins enseignés à l’université.
Quelques rapides mots sur la psychologie clinique
Commençons par situer le champ de la psychologie clinique. La psychologie clinique se distingue par exemple de la psychologie sociale, de la psychologie expérimentale ou encore de la psychologie du développement, et elle se situait à ses débuts à l’intersection de la psychiatrie, de la psychologie générale et expérimentale, et des philosophies humanistes. Concrètement et de manière très schématique, je dirai que la psychologie clinique implique une relation entre un thérapeute et une personne, et ceci avec des visées thérapeutiques principalement (car il y a aussi des courants de recherche en psychologie clinique).
Contexte de la psychologie et de la psychiatrie avec quelques dates :
- Sigmund Freud (1856-1939)
- Carl Jung (1875-1961)
- Jean Piaget (1896-1980)
- Lev Vygotski (1896-1934)
- Carl Rogers (1902-1987)
- Pavlov (1849-1936) et
- B. F. Skinner (1904-1990)
L’Approche Centrée sur la Personne (ACP) en quelques mots
Le parcours de Carl Rogers est assez atypique, comme nous le verrons dans un instant, mais ce qui le différencie grandement d’autres grands psychologues ou psychiatres influents, c’est que dès le début de sa carrière de psychologue, il s’est intéressé à ce qui pourrait favoriser le développement positif d’une personne, et son regard s’est particulièrement porté sur la personne du thérapeute. Ainsi dès les années 40, il a cherché à découvrir comment il pouvait parvenir à créer une relation que la personne puisse utiliser au développement de sa personnalité. Lorsqu’on parle de l’ACP, 3 conditions sont communément citées pour résumer les qualités dont doit faire preuve le thérapeute : il s’agit de l’empathie, du regard positif inconditionnel, et de la congruence (à comprendre dans le sens de l’authenticité du thérapeute). Rogers pensait que chaque personne a en elle la capacité de se comprendre, d’avancer et de savoir intuitivement ce qui est important pour elle.
Comme d’autres, Rogers refuse les conceptions voulant réduire l’être humain à un déterminisme en fonction de ses expériences douloureuses du passé. D’ailleurs dans l’appellation même de son approche, l’ACP, on perçoit la conception que Rogers a de l’être humain : il utilise dans un premier temps le terme « centré sur le client », ou « centré sur l’étudiant » dans le cadre de l’université, pour finalement employer « centré sur la personne ». Il y a là une nette volonté de donner la place à la personne, à son autonomie, en refusant la réduction qu’impliquent les termes tels que « patient » ou « malade ».
Carl Ransom Rogers
Carl Ransom Rogers est né en 1902 dans la banlieue de Chicago aux Etats-Unis. Il est le 4ème de 6 enfants, et grandit dans un foyer aimant, dont l’atmosphère se veut très religieuse, avec des règles strictes et des contacts sociaux restreints. Alors que le jeune Carl a 12 ans, le père décide de changer de profession : d’homme d’affaires reconnu dans la construction mécanique, il devient responsable d’une grande ferme qu’il est bien décidé à gérer de manière aussi scientifique que possible. Un des motifs du déménagement était que les parents souhaitaient protéger leurs enfants (alors adolescents) des tentations de la ville. Encouragé par son père, Carl développe de réelles expériences scientifiques qui lui permettent d’acquérir des connaissances méthodologiques. Tout naturellement au moment d’entrer à l’université, il choisit l’agronomie. Quittant le foyer familial, l’expérience de l’université se révèle libératrice. Carl s’engage dans un groupe de catéchistes géré par un professeur qui encourage le groupe à prendre ses décisions et qui refuse d’assumer le rôle de dirigeant. Cet exemple de leadership participatif a probablement eu un impact sur le développement futur de la vision de Carl Rogers.
Avant la fin de sa 2ème année à l’université, il est convaincu qu’il est appelé à devenir pasteur et change donc de faculté. Avec une douzaine d’autres étudiants américains, Carl est désigné pour prendre part à la conférence de la Fédération mondiale des étudiants chrétiens qui se tient à Pékin. Ce séjour de 6 mois représente une ouverture dans son développement spirituel et intellectuel. Il y développe son autonomie personnelle et découvre une culture totalement différente. Il prend conscience que des gens sincères et honnêtes peuvent avoir des conceptions religieuses et philosophiques très différentes des siennes. Progressivement Carl rompt avec ses références intellectuelles et religieuses passées, et c’est dans la profondeur de son expérience de la vie de groupe qu’il devient capable d’appréhender et d’apprécier les différences individuelles. (Ce dernier point est très intéressant car Rogers dira plus tard que c’est lorsque que la personne est en contact avec ce qui fait d’elle un être unique, qu’elle se rapproche des valeurs universelles.)
À son retour aux Etats-Unis, tout en poursuivant ses études en théologie, il s’inscrit à un cours par correspondance de psychologie. Ayant l’intention de devenir pasteur, Carl sert comme pasteur dans une petite ville durant sa première année au séminaire. Il réalise qu’il ne parvient pas à prêcher plus de vingt minutes, et surtout qu’il éprouve de la réticence à imposer ses vues à d’autres et de la répugnance à dire aux autres ce qu’ils devraient faire ou croire. Durant sa deuxième année au séminaire, Rogers et d’autres étudiants demandent la permission d’organiser un cours officiel sans professeur dont le programme serait uniquement élaboré à partir des questions des étudiants. Ce cours « sans dirigeant » se transforme en révélation puisque lorsqu’ils ont considéré honnêtement les questions soulevées, la plupart des participants de sont distancés de l’engagement pastoral. C’est à ce moment que Rogers réalise que son profond engagement à améliorer la vie sociale des individus l’empêche d’occuper une position qui exigerait de lui qu’il croie en une doctrine spécifique. Inquiet par ses découvertes, parallèlement à ses études religieuses, il suit quelques cours de psychologie au Teachers’ College de Columbia. Un cours de psychologie clinique lui permet de faire ses premières expériences avec des enfants perturbés. Progressivement Rogers abandonne l’idée de devenir pasteur et entreprend des études de psychologie (clinique et pédagogique). Quelques années plus tard, il consacre son travail de doctorat à la création d’un test de mesure de la capacité d’adaptation d’enfants de 9 à 13 ans. Son intérêt pour le travail avec les enfants lui permet d’obtenir une place à l’institut de guidance de l’enfant. Il est alors content de prendre un peu ses distances d’avec le Teachers’s College très influencé par la psychanalyse. Rogers refuse de s’allier à l’un ou l’autre des courants dominants de psychologie.
En 1928, il décroche son premier emploi en tant que psychologue au département d’études de l’enfant. Il est mal payé, pour un travail dans un domaine sans éclat et loin de la vie universitaire, mais est très satisfait de sa décision qu’il a prise de manière très intuitive. Ce point est intéressant puisque plus tard Rogers insistera pour que chacun fasse confiance à son propre « lieu d’évaluation interne » avant de prendre une décision ou d’évaluer une situation affective complexe. Sa pratique quotidienne lui fait réaliser que dans une situation pressante, même les théories les plus brillantes ne résistent pas au test de la réalité. Il découvre alors qu’il peut se considérer comme pionnier et prendre le risque de formuler ses propres idées à partir de son expérience et de ses rencontres quotidiennes avec les personnes venues chercher de l’aide. Il passe 12 années à Rochester, durant lesquelles il en vient à croire que chaque individu est capable de trouver sa propre route. Dès lors il se rend compte que pour la conduite de la thérapie, la tâche du thérapeute est de se fier au client. Il identifie quatre caractéristiques fondamentales de tout thérapeute : l’objectivité, le respect de l’individu, la compréhension de soi, et un savoir psychologique (c’est-à-dire une connaissance fondamentale du comportement humain et de ses déterminants physiques, sociaux et psychologiques).
En 1939, bien qu’engagé comme directeur du Centre de guidance, Rogers accepte un poste de professeur à l’université de l’Etat d’Ohio. Dès la prise de ses nouvelles fonctions, Rogers est très actif et productif : il organise des stages en consultations et en psychothérapie, participe à divers comités, et propose de nombreuses publications et conférences. Il critique les vieilles méthodes et s’intéresse aux nouveaux domaines de la psychologie et à une nouvelle conception de la psychologie dont le but n’est pas de résoudre des problèmes mais davantage d’aider des individus à grandir et à mûrir pour mieux s’intégrer dans la vie en général. Parmi les autres aspects qu’il aborde, il y a l’importance accordée aux sentiments et aux émotions plutôt qu’aux aspects cognitifs d’une situation, l’attention portée au présent plutôt qu’au passé, et l’importance essentielle de la relation thérapeutique elle-même comme élément primordial dans l’évolution de la personne. Il commence à se faire une place, et son deuxième ouvrage « Councelling and psychotherapy » reçoit un accueil divisé du public : certains le considère très novateur et intéressant, alors que d’autres se sentent menacés dans leur position de thérapeute tout-puissant face aux patients. Son rôle de professeur à l’université se démarque également de celui de ses confrères : il manifeste encouragements et respect envers ses étudiants qu’il traite en égaux, leur permettant souvent d’évaluer eux-mêmes leur travail.
En 1945, Rogers rejoint l’université de Chicago pour y créer un centre d’aide personnelle (centre de consultation). Fidèle à ses principes et croyant dans la capacité du groupe à trouver sa propre route, il refuse d’exercer son autorité de manière habituelle et œuvre à établir un climat démocratique où le partage du pouvoir devient une réalité (il rencontre néanmoins des difficultés pour que l’administration de l’université accepte son refus de diriger le centre de manière traditionnelle).
Dans son 3ème ouvrage parut en 1951, « Client Centered Therapy », il traite des applications de l’approche centrée sur le client non seulement à la thérapie individuelle, mais aussi à la thérapie par le jeu, au travail de groupe, au leadership, aux rôles administratifs, à l’enseignement et à la formation. Son livre remporte un énorme succès, et en 1956 il reçoit le prix de la contribution scientifique décerné par l’American Psychological Association. Durant ses 12 années d’activités au centre d’aide de Chicago, il contribue largement à démystifier les relations thérapeutiques et à les rendre accessible à un public plus large que uniquement celui des chercheurs scientifiques. C’est à cette période qu’il élabore ce qu’il appelle « les conditions nécessaires et suffisantes pour un changement thérapeutique de la personnalité » (conditions qui seront évoquées plus loin).
En 1961 il publie « On becoming a person », (un de ses ouvrages les plus connus encore aujourd’hui), qui le propulse du jour au lendemain sur le devant de la scène et lui apporte une réputation et influence bien au-delà du monde professionnel de la psychologie. Il profite de ce succès pour quitter l’université et rejoindre en Californie (en 1963) un de ses anciens étudiants ayant créé l’ « Institut des sciences du comportement de l’Ouest », principalement intéressé par la recherche avec une orientation humaniste. Considéré alors dans toute l’Amérique comme un vieux routard de la rencontre, il s’engage à fond dans les groupes, et retrouve plaisir à travailler avec une population « normale ». Il fait confiance à la sagesse des petits groupes avec la même assurance que celle qu’il a pour les clients individuels. Il découvre qu’il lui est aussi possible d’utiliser le cadre des groupes pour son propre développement. Il exprime de mieux en mieux ses propres sentiments et prend davantage de « risques » personnels dans ses relations. Ces changements s’accompagnent d’un intérêt croissant pour l’application des principes de « centration sur le client » à d’autres structures que le cabinet de thérapie.
Rogers quitte ensuite l’institut pour fonder avec d’autres « le Centre de recherche sur la personne ». Le centre réunit très vite 40 personnes, toutes venues de disciplines différentes. L’organisation du centre est telle que chaque membre est libre de faire ce qui l’intéresse tout en bénéficiant de personnes se trouvant dans les mêmes dispositions. C’est dans ces conditions que Rogers poursuit une vie professionnelle très active pour les 20 années qui suivent. Au cours de cette dernière période, Rogers ne revient qu’épisodiquement sur les problèmes de la psychothérapie individuelle, son intérêt se portant de plus en plus vers les soucis de la vie de tous les jours ou vers les problèmes auxquels se trouve confrontée la communauté humaine toute entière. Pendant cette période, et souvent avec l’aide de sa fille Natalie, il entreprend des séries de stages de grands groupes, où son approche est appliquée à des groupes de 75 à 800 personnes. Il se sert de plus en plus de l’expression « centré sur la personne » lorsqu’il applique son approche à des structures autres que la psychothérapie. Cette évolution le conduit finalement à envisager sa méthode dans le cadre de conflits internationaux. Effectivement, dans les dernières années de sa vie, Rogers se montre très soucieux de faire quelque chose pour la paix mondiale et pour le dépassement des frontières culturelles ou raciales. À plus de 70 ans, puis plus de 80, Rogers traverse le monde et répand ses idées là où les tensions et conflits forment une réalité quotidienne (Irlande du Nord, Afrique du Sud, Pologne, Russie, etc.). Dans chaque pays il parle de son œuvre, mais aussi il participe activement à des stages ou des séminaires de manière à ce que les gens aient la possibilité, même brièvement, de réagir les uns aux autres d’une manière centrée sur la personne. A la fin de 1985, il parvient à réunir en Autriche un certain nombre de dirigeants importants de 17 pays dans le cadre d’une conférence sur « le défi de l’Amérique centrale ». Cette conférence fournit un bel exemple de son engagement à œuvrer pour la paix mondiale. Quelques mois avant sa mort, Rogers affirme que son activité pour la paix (il a crée le « Peace Project » alors qu’il était âgé de 82 ans) fait partie de ses toutes premières priorités. Lorsque Rogers meurt en 1987, il vient d’être proposer pour le prix Nobel de la Paix.
Au cours de sa vie, Carl Rogers a écrit 16 ouvrages et plus de 200 articles. Toute sa vie il a lutté contre les dogmatismes et les rigidités théoriques et pratiques. Parmi ses importantes contributions, on peut noter le « counselling », les groupes de rencontres, les grands séminaires (workshops) de communication personnelle (interpersonnelle). Il s’est montré également un précurseur en ce qui concerne les modalités fines d’évaluation et des processus de formation favorisant l’autonomie et la progression personnelle. Dans le domaine de la recherche, sa voie non directive a également permis de nouveaux développements (enquêtes).
Les fondements théoriques de l’Approche Centrée sur la personne
L’actualisation :
Comme énoncé précédemment, Rogers pensait que chaque être humain est en mesure de savoir ce qui est bon pour lui. Selon lui il existe donc chez tous les organismes vivants une tendance à l’actualisation, ou à la réalisation de soi. Cette tendance à l’actualisation représente un des fondements de l’ACP, comme une confiance qu’il existe chez chacun une force directionnelle constructive allant vers la réalisation de son potentiel. En ACP, le thérapeute est donc convaincu que les individus et les groupes sont en mesure de définir leurs propres buts et décider de leur propre cheminement. Ce point est intéressant dans des contextes relatifs à l’enfance, la formation ou le monde professionnel où les systèmes dominants ont tendance à manifester un besoin constant de contrôle, de guidance ou de surveillance.
On voit donc que dans le contexte des années 50, où les courants principaux et dominants étaient ceux de la psychanalyse et du behaviorisme, Rogers se démarquait clairement par son approche résolument humaniste, positive et bienveillante.
Les conditions nécessaires et suffisantes d’une modification thérapeutique de la personnalité :
- L’existence d’un contact psychologique entre 2 personnes (relation entre 2 personnes)
- L’existence chez la première, appelée client, d’une discordance intérieure, d’une vulnérabilité ou d’une anxiété (l’état du client – la présence d’une divergence entre le véritable vécu de l’organisme et la manière dont le sujet se représente dans ce vécu)
- L’existence chez la seconde, appelée thérapeute, d’une concordance intérieure – congruence – ou d’une véritable intégrité relationnelle (authenticité relationnelle du thérapeute)
- L’existence chez le thérapeute d’une considération – ou d’un regard – inconditionnellement positif (opposé d’une attitude d’évaluation par exemple)
- L’existence, chez le thérapeute, d’une compréhension empathique du système de références propre au client et la volonté de lui faire partager cette compréhension (« pénétrer dans l’univers intime du client comme s’il s’agissant du sien, mais sans jamais perdre de vue le « comme si » – élément essentiel de la thérapie)
- La perception, au moins embryonnaire, par le client de la compréhension empathique et de la considération positive inconditionnelle que lui porte le thérapeute
Rogers et la recherche
La théorie et la recherche ont occupé une place centrale durant les 35 premières années de la carrière de Rogers. Conjointement avec 2 confrères, il a d’ailleurs reçu en 1956, le prix de l’American Psychological Association en reconnaissance d’une contribution scientifique de premier plan.
La recherche sur la psychothérapie
Rogers et un de ses étudiants avaient mis au point leur propre dispositif d’enregistrement. Ils avaient donc enregistré puis retranscrit une centaine d’entretiens, et en 1942 ils ont publié intégralement le « cas d’Herbert Ryan ». Ceci a permis aux professionnels de prendre conscience de l’apport considérable de ce nouvel outil aux progrès de la psychothérapie.
Pour situer ceci dans le contexte de la fin des années 30 – début des années 40, pour procéder à des enregistrements intégraux des entretiens, Rogers et son comparse avaient besoin de deux phonographes, dont le second prenait le relais du premier toutes les 3 minutes environ, ceci pendant qu’on retournait ou enlevait les disques. Très rapidement, Rogers et Covner (le comparse) ont rassemblé une collection de plus de 400 disques double face. Cette technique s’est ensuite développée (et heureusement améliorée !) et sa diffusion à entraîné de nouvelles impulsions pour les recherches de Rogers comme pour celles d’autres psychologues ou chercheurs. Après l’enregistrement, la transcription de ces entretiens permettait ensuite la conduite de recherches plus systématiques, d’étudier chaque échange, d’en observer l’impact, etc. Il trouvait aussi cette technique très utile pour la formation des futurs thérapeutes à l’université.
L’analyse de ces enregistrements ont permis une nouvelle compréhension des concepts de résistance et d’insight par exemple (la résistance représenterait une sorte de force psychique activée par le patient afin de ne pas accéder à son propre inconscient, une sorte de résistance aux propositions et interprétations du psychanalyste). En ce qui concerne la résistance, phénomène trop souvent imputé à la personne et souffrant du jugement du thérapeute, Rogers et ses collègues arrivent à la conclusion que le thérapeute est entièrement responsable de cette résistance, qu’elle résulte d’une investigation trop poussée ou d’une interprétation prématurée par exemple. En tout les cas, en ACP, lorsque la personne manifeste des résistances, c’est que le thérapeute n’a pas su écouter suffisamment finement ce qui lui était dit. En ce qui concerne l’« insight », où la compréhension de soi en quelque sorte, les enregistrements ont également permis de repérer clairement les progrès de l’auto-compréhension et l’évolution positive de la personne entretien après entretien (ou comment sa perception et sa représentation d’elle-même se modifient – modification du processus de symbolisation).
Rogers a donc largement contribué au développement de la recherche, en particulier sur l’efficacité des thérapies et la place du thérapeute, ainsi que sur ce qui lui permettait de développer sa conception de l’être humain. Il a également travaillé au développement de différents outils d’évaluation. Au cours de ses recherches, Rogers a évidemment cherché à découvrir si ce qui n’était au départ que des hypothèses était susceptible d’être validé. Dès la fin des années 40, il s’est donc intéressé aux travaux de ses contemporains. Ainsi par exemple il estime que ses « 6 conditions nécessaires et suffisantes pour le développement positif d’une personne » font l’objet de validations (il cite entre autres des travaux qui confirment la place centrale de la communication empathique et de l’importance d’un regard inconditionnellement positif perçu comme tel par la personne.) Il recourt à la même démarche pour ce qui concerne les caractéristiques du processus thérapeutique, démarche qui lui permet de trouver des validations chez des auteurs différents et variés.
L’ACP s’est développée dans des domaines autres que la psychothérapie, et le courant humaniste en psychologie a grandement bénéficié de son influence. D’ailleurs le succès des psychothérapies humanistes se mesure par le fait que nombre de leurs concepts ont été largement repris. On peut retrouver certaines de ses idées dans de nombreuses autres approches : dans les années 80, reprise d’éléments des thérapies humanistes par la psychanalyse relationnelle, l’entretien motivationnel, voire les TCC, et plus récemment, c’est la psychologie positive qui a repris les postulats humanistes, ou encore par exemple : l’importance de l’émotion, intégrée comme fondamentale dans les thérapies humanistes, est confirmé actuellement par les courants de recherche d’orientations diverses.
Les études actuelles confirment ce que Rogers a avancé depuis de nombreuses décennies à savoir l’importance de l’empathie et de la relation thérapeutique. Par exemple, Norcross (2002), Lambert et Ogles (2004) affirment que les intervenants les plus efficaces en psychothérapie sont ceux qui arrivent à créer une relation significative de qualité avec leurs clients). Une méta-analyse de Cooper (2004) présente les preuves du caractère central des facteurs liés à la relation pour la réussite des thérapies. Sans oublier Wampold (2001) qui avance que 8% de la variance du changement thérapeutique s’explique par l’utilisation de techniques spécifiques, et 92%, par les facteurs communs à toutes les psychothérapies.
Et pour terminer une petite quote (Rogers, 1961): 😉
« Life, at its best, is a flowing, changing process in which nothing is fixed. » (« La vie à son meilleur est un processus fluide et changeant dans lequel rien n’est fixé. »)
Petite bibliographie
- Rogers, C., (2001) « L’approche centrée sur la personne – Anthologie de textes présenté par Howard Kirschenbaum et Valérie Land Henderson », Lausanne : Editions Randin
- Un article sur l’écoute selon l’approche centrée sur la personne par J.-M. Randin : http://www.cairn.info/revue-approche-centree-sur-la-personne-2008-1-p-71.htm
- Thorne B., (1994), « Comprendre Carl Rogers », Toulouse : Editions Privat
- Tous les ouvrages de Carl Rogers bien sûr !
Et un lien intéressant permettant de découvrir Carl Rogers à l’œuvre dans une émission de 1965 qui se proposait de présenter trois approches en psychothérapie :