Dossier d’Alan, présenté dans l’épisode #16.
Contrairement à ce que le nom pourrait laisser entendre, la plasticité neuronale ne consiste pas à avoir un cerveau en plastic, comme celui d’une poupée barbie. Commençons comme toujours par une petite incursion au pays de Wikipedia:
“La Plasticité neuronale, la Neuroplasticité ou encore la Plasticité cérébrale sont des termes qui décrivent les mécanismes par lesquels le cerveau, et plus particulièrement celui de l’Homme, est capable de se modifier par l’expérience.”
En d’autres termes, c’est comme un CD regravable ou une cassette: quand on y encode de l’information, on change effectivement sa structure! Reprenons…
“Le cerveau est ainsi qualifié de “plastique” ou de “malléable”. Ce phénomène intervient durant le développement embryonnaire, l’enfance, la vie adulte et les conditions pathologiques (lésions et maladies). Il est responsable de la diversité de l’organisation fine du cerveau parmi les individus (l’organisation générale étant, elle, régie par le bagage génétique de l’espèce) et des mécanismes de l’apprentissage et de la mémorisation chez l’enfant et l’adulte. La plasticité neuronale est donc (…) l’une des découvertes récentes les plus importantes en Neurosciences et montre que le cerveau est un système dynamique, en perpétuelle reconfiguration”
Si on prend un exemple concret, celui de la lecture par exemple. Voilà une magnifique invention de l’humanité. Il n’existe aucun équivalent dans la nature pour cette forme subtile de communication qui consiste à décoder des symboles visuels qui représentent par écrit le langage oral. La lecture est indissociable de l’écriture et les premières traces d’écritures attestées, l’écriture cunéiforme de l’Empire Sumérien, remontent à quelque 5’300 ans. À peine le temps de cligner de l’oeil à l’échelle de l’évolution… L’apprentissage systématique de la lecture, quant à lui, ne remonte qu’à quelques centaines d’années… Pourtant, tous les êtres humains (ou presque) ont cette capacité à lire. Est-ce que ça veut dire que notre cerveau était câblé pour lire a priori? On vient de voir que la lecture est récente et que l’évolution n’a pas eu le temps de faire son oeuvre à ce niveau-là, donc c’est hautement improbable!
Comment expliquer alors que nous ayons toutes et tous cette capacité d’apprendre à lire?
Une étude récente publiée le mois passé dans la prestigieuse revue Science explique le phénomène: comme nous n’avons pas de système inné dans le cerveau pour assurer la lecture, on bricole! On réaffecte les fonctions de certaines zones cérébrales pour assurer la lecture.
Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs de l’INSERM et du Collège de France ont mesuré par IRM fonctionnelle l’activité cérébrale d’adultes volontaires diversement alphabétisés. (L’IRM fonctionnelle, c’est l’imagerie par résonance magnétique qui permet de visualiser l’activité du cerveau). Ils ont formulé une théorie du recyclage neuronal.
Un article déniché par Anh Tuan sur le site québecois Cyberpresse.ca donne la plupart des détails:
63 adultes ont participé à l’étude : 10 analphabètes, 22 personnes alphabétisées à l’âge adulte, 31 personnes scolarisées depuis l’enfance. La recherche a été menée au Portugal et au Brésil, pays dans lesquels il y a quelques dizaines d’années il était «relativement fréquent» que des enfants n’aillent pas à l’école.Les adultes étaient soumis à différents stimuli tels que phrases parlées et écrites, mots, visages…
Les chercheurs ont pu ainsi comparer l’activité cérébrale d’adultes analphabètes avec celle de personnes alphabétisées, dans l’enfance ou à l’âge adulte, et mesurer l’impact de l’apprentissage de la lecture sur le cerveau. Ils ont constaté que l’impact de l’alphabétisation était «bien plus étendu que les études précédentes ne le laissaient penser» et concernait aussi bien les aires visuelles du cerveau que celles utilisées pour le langage parlé.
En résumé, deux aires du cerveau sont concernées par la lecture, et c’est logique: l’aire du langage d’une part (c’est logique: une fois qu’on a décodé les signes, il faut les interpréter et c’est la fonction du langage) et les aires visuelles du cerveau d’autre part. Ce qui est spécialement intéressant, c’est que parmi les aires visuelles, il y a celles de la reconnaissance visuelle des objets et des visages, qui cèdent de la place aux fonctions de lecture. Il y a donc bel et bien redistribution des compétences cérébrales!
Un autre article, du New Scientist donne un peu plus de détails
Lorsque les chercheurs ont montré à des participants des images de visages, la zone cérébrale associée à la reconnaissance de visage s’est révélée moins active chez les lecteurs que chez les analphabètes. Les chercheurs pensent que les deux compétences (lecture et reconnaissance faciale) sont en concurrence pour accéder aux mêmes ressources, en tout cas dans cette zone du cerveau (…). Il n’est pas encore avéré que la capacité de reconnaître les visages serait meilleure chez les personnes qui ne savent pas lire.
Cela confirme une étude qui avait été faite l’année dernière par Manuel Carreiras du Centre Basque sur la Cognition, le Cerveau et le Langage, à San Sebastián en Espagne et qui avait également conclu que les cerveaux d’adultes sachant lire étaient structurellement différents de ceux qui ne savent pas lire.
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Si nous n’avions pas décidé de fusionner deux des sujets pour lesquels nos poditrices et poditeurs ont voté, à savoir “l’apprentissage de la lecture modifie le cerveau” et “la plasticité neuronale”, j’aurais fini mon sujet, mais là, j’ai encore un peu de boulot: parlons plasticité neuronale de manière un peu plus générale :
On l’a dit en intro, la plasticité, c’est cette capacité du cerveau à changer, s’adapter tout au long de notre vie. Cela se produit:
1– au début de la vie: lorsque le cerveau encore immature commence à s’organiser
2– en cas d’accident cérébral: pour compenser les fonctions perdues ou maximiser les fonctions restantes
3– Tout au long de la vie, à chaque fois qu’on apprend quelque chose et qu’on le mémorise.
Abordons d’abord la plasticité dans le contexte des lésions cérébrales:
J’ai trouvé un chouette article sur sharpbrains.com (le blog d’une boîte qui essaie de se positionner sur le marché de la santé mentale, mais bon, ils ont de bons articles. En tout cas, j’ai trouvé que je n’aurais pas pu faire mieux que ce qui va suivre et j’ai donc traduit et ajouté quelques petites définitions ici et là 😉 )
Une conséquence étonnante de la neuroplasticité est que l’activité cérébrale liée à une certaine fonction peut changer d’emplacement, dans le cadre d’une expérience normale, d’un traumatisme cérébral ou d’une récupération post traumatique.
L’article cite un livre, “Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau“, dans lequel l’auteur, Norman Doidge, décrit de nombreux exemples de “functional shifts” (glissements/déplacement fonctionnels)
Dans l’un des exemples, un un chirurgien cinquantenaire est victime d’un accident vasculaire cérébral (c’est à dire une attaque cérébrale). Son bras gauche est paralysé. Durant sa période de rééducation, on lui a immobilisé le bon bras (main comprise) et on l’a envoyé nettoyer des tables. Tâche a priori impossible bien sûr. Puis, petit à petit, le mauvais bras “se rappelle” comment bouger. Il réapprend à écrire, à jouer au tennis: les fonctions du cerveau gérées par des zones détruites par l’accident se sont transférées vers des régions saines!
Le cerveau compense les dégâts en réorganisant et en formant de nouvelles connexions entre les neurones intacts. Et pour pouvoir se reconnecter, les neurones (c’est à dire les cellules cérébrales) doivent être stimulés par une activité.
(Note du traducteur, aka professeur Von… A prendre avec des baguettes! Le phénomène est présenté ici comme si ça marchait à tous les coups: il suffirait d’immobiliser le bras droit pour que le gauche re.fonctionne. Ce n’est bien sûr pas le cas, on ne sait pas encore pourquoi chez certaines personnes le phénomène se produit et chez d’autres pas. Mais ce qui est certain, c’est que dans les cas où ça marche, la stimulation est un élément indispensable.)
L’article parle également de plasticité dans le contexte plus ordinaire de l’apprentissage et de la mémorisation
Longtemps, on a pensé qu’en vieillissant, les connexions dans le cerveau se fixaient. Mais des recherche ont montré que le cerveau continue de se modifier à travers l’apprentissage (…)
Les changements associés à l’apprentissage se passent surtout au niveau des connexions entre neurones. De nouvelles connexions peuvent se former et la structure interne des synapses existantes peut changer. (Pour rappel, les synapses, ce sont les zones de connexions fonctionnelles entre deux neurones). Saviez vous que lorsque vous devenez expert d’un domaine spécifique, les zones du cerveau qui gèrent les compétences spécifiques nécessaires grandissent? Littéralement?
L’article rappelle le fameux exemple des chauffeurs de taxi londonniens qui ont un hippocampe plus grand que le reste du mode (l’hippocampe, c’est une zone hyper importante du cerveau chez l’humain et la plupart des mammifères, impliquée dans la mémoire. On l’appelle comme ça parce qu’elle ressemble effectivement à un hippocampe, un cheval de mer…)
Les chauffeurs de taxi londoniens, nous dit l’article, ont la partie postérieure de l’hippocampe plus grande que les chauffeurs de bus (étude de Maguire, Woollett & Spiers, 2006). Comment est-ce possible? C’est simplement parce que cette région de l’hippocampe est spécialisée dans l’acquisition et la gestion d’information spatiale complexe permettant une navigation efficace. Les chauffeurs de taxi doivent connaître tout Londres alors que les chauffeurs de bus suivent un nombre limité d’itinéraires.
On observe également cette plasticité de les cerveaux de personnes bilingues (Etude publiée dans Science d’Andrea Mechelli et al., 2004). En fait, il semble que l’apprentissage d’une deuxième langue ne soit possible qu’à travers des changements fonctionnels dans le cerveau: le cortex inférieur pariétal gauche est plus grand que les personnes bilingues que dans les cerveaux de personnes qui ne parlent qu’une seule langue.
Les changements sont également observables dans les cerveaux des musiciens par rapport à ceux des non-musiciens. Gaser et Schlaug (20o3) ont comparé des musiciens professionnels (qui jouent de leur instrument au moins une heure par jour) à des musiciens amateurs et à des non-musiciens. Et ils ont trouvé trouvé un plus grand volume de cortex (c’est à dire la substance grise périphérique des hémisphères cérébraux, la matière grise, quoi…) chez les musiciens professionnels et amateurs et plus faibles chez les non-musiciens, et cela dans plusieurs régions du cerveau impliquées dans la musique (les régions motrices, les régions pariétales antérieures supérieurs et les aires temporales).
Enfin, indique l’article (pour tous ceux qui n’auraient toujours pas compris que la plasticité s’observe dans toutes sortes de contextes), Bogdan Draganski et ses collègues ont montré en 2006 que l’apprentissage intensif d’informations abstraites peut également déclencher des changements plastics dans le cerveau. Ils ont mis en images les cerveaux d’étudiants en médecine 3 mois avant leurs examens et juste après et les ont comparés aux cerveaux d’étudiants qui n’étudiaient pas à ce moment-là pour des examens. Les images ont montré des changements liés à l’apprentissage dans le cortex pariétal et dans l’hippocampe postérieur. Et ces régions du cerveau sont connues pour être impliquées à la fois dans la récupération de souvenirs et dans l’apprentissage
Voilà… Pour ma part, j’ai appris plein de choses en préparant ce dossier. Mon cortex a tellement gonflé que j’ai dû prendre un paracétamol 😉
Le cerveau ne cessera jamais de me fasciner, le cerveau en particulier… Un tout grand merci à ma Jolie, Antonela et Anh Tuan, dont les cerveaux constitueraient probablement des sujets d’études fascinants, merci donc d’avoir proposé ces sujets… Ça reste dans la famille 😉
Retrouvez les géniales illustrations de Lucile! (cliquez sur les images pour agrandir)
Quelques liens pour aller plus loin:
L’étude sur la lecture:
L’article de la revue Science (en anglais) http://www.sciencemag.org/content/330/6009/1359
L’article d’Anh Tuan sur Cyberpresse.ca http://www.cyberpresse.ca/vivre/sante/201011/11/01-4341720-la-lecture-impose-au-cerveau-de-modifier-sa-facon-de-fonctionner.php
L’article du New Scientist: http://www.newscientist.com/article/dn19720-bad-memory-for-faces-blame-your-reading-skills.html?DCMP=OTC-rss&nsref=online-news
L’article dans Nature de Manuel Carreiras (PDF): http://www.nature.com/nature/journal/v461/n7266/pdf/nature08461.pdf
La plasticité neuronale:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Plasticit%C3%A9_neuronale
L’article de Sharp Brains: http://www.sharpbrains.com/blog/2008/02/26/brain-plasticity-how-learning-changes-your-brain/
La publication de Maguire, Woollett et Spiers, de 2006 sur les chauffeurs de taxis (2006)
Le papier d’A. Mechelli, JT Crinion, U Noppeney, J O’Doherty dans Science sur la plasticité du cerveau des personnes bilingues (2004)
Celui de Gaser et Schlaug sur le cerveau des musiciens en 2003
Celui de Bogdan Draganski et ses collègues sur le cerveau des étudiants en médecine en période d’examen en 2006